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Le livre "Le soleil se levait à l'Ouest" Dan Sprinceana

Extraits
du livre

Toma, son amour pour la nature

La montagne, à moi seule !

« À quoi bon 

soulever des montagnes

quand il est si simple

de passer par-dessus ? »

Boris Vian

Le lendemain d’une fête bien arrosée, un désir profond m’attirait souvent vers une promenade solitaire. Quel que soit le temps, que le thermomètre indique -10 °C ou -30 °C, que le ciel soit illuminé par un soleil éclatant ou assombri par des nuages menaçants, une seule idée me hantait : m’immerger dans le décor, fusionner avec la nature. Dans le blanc immaculé des alentours, les pics rocheux surgissaient avec audace de ce manteau neigeux. À chaque pas, le silence était brisé par le craquement des cristaux de glace. J’éprouvais un plaisir immense à écouter la symphonie fragile de ces minuscules baccarats écrasés. Chaque enjambée devenait unique.

Je m’amusais à varier la cadence, parfois en accélérant, parfois en ralentissant, jouant avec le rythme de la marche. Semblable à une partition qui s’écrivait sous mes yeux, pensai-je en souriant tandis que le chemin m’absorbait. Je m’arrêtais souvent, enivré par la beauté de cette nature, minorant les épopées de la vie courante. Les rires et les verres de la veille devenaient de lointains souvenirs, presque futiles devant une telle grandeur. Par moments, je cherchais à harmoniser ma marche avec un air de Bach qui me trottait dans la tête. Peut-être avait-il composé certaines de ses œuvres en contemplant des paysages semblables ?

Au fil de ces pensées, une sorte d’ivresse, plus pure que celle de la veille, m’enveloppait. Cependant, après une ou deux heures de cette rhapsodie, je revenais, à regret, vers le point de départ. Là, mes amis m’attendaient, joyeux, leur insouciance me rappelant que nous étions ici pour nous amuser. Vivifié par cette communion avec la nature, je me joignais à eux, prêt à plonger à nouveau dans la fête.

...

Une touche de mystère

Du culot, sinon rien.

« Dans les événements incertains,

l’audace est tout. »

Publilius Syrus

Soudain, une idée audacieuse me traversa l’esprit « Et si nous tentions la traversée en plein jour ? Quelles seraient nos chances de réussite ? »

Après une heure d’observation, je n’avais remarqué qu’un seul véhicule sur la route, une fourgonnette. Aucune jeep militaire, aucun camion, ni aucun piéton en vue. Deux bateaux de marchandises sur le Danube. Statistiquement, la probabilité de croiser quelqu’un était faible !

Lors de notre voyage en voiture de police, nous nous étions étonnés de ne voir ni soldat ni jeep militaire, ni à l’aller ni au retour. Cela renforçait encore mes hypothèses.

En marchant prudemment sur la route pour ne pas éveiller les soupçons, nous pourrions arriver vite au lieu où j’avais repéré la coulée de terre entre les roches. Après quelques centaines de mètres à la nage, la liberté serait à nous. Si nous étions remarqués, le temps qu’ils comprennent, donnent l’alerte, prennent leurs jeeps et se déplacent jusqu’à nous… nous serions peut-être déjà de l’autre côté ou suffisamment loin pour échapper à leurs balles, pensais-je.

Il faisait beau, très chaud… C’était l’une de ces belles journées d’été en montagne. Quand j’entendis une voix :

— Vas-y, tu es sur la bonne piste !

Je croyais que c’était Lizeta qui me parlait, mais, en la regardant, je la trouvai endormie comme un ange. Troublé, je jetai un coup d’œil autour de moi. La nature s’étendait en toute splendeur, sans aucun signe de vie humaine. Je mis ce trouble étrange sur le compte de la fatigue et du stress. La voix se fit entendre à nouveau :

— Vas-y, c’est le moment propice !

Je me frottai les oreilles, les yeux… La voix résonna de nouveau :

— Vas-y, c’est le bon moment !

— Maman ? demandai-je, bouleversé.

— Je suis là, mon fils chéri, pour te protéger… pour vous protéger ! Va réveiller les autres, tu as trouvé la bonne solution.

Je cherchais partout. Je devenais fou, je criai :

— Mais où es-tu, où es-tu ?

Hélas, la voix se tut. Je me pinçai, me frappai. Était-ce réel, ou étais-je  passé dans l’au-delà ? Mon corps frissonna à cette idée. J’eus besoin d’un moment pour accepter cette vision et revenir au présent, dans ce bout de prairie, devant mon cher Danube.

La mort n'était pas si loin

La vie ne tient qu’à un fil

« Si tu traverses l’enfer, continue. »

Winston Churchill

— On doit partir, on doit s’éloigner au plus vite de cette zone maudite, continua-t-il.

À cette soudaine prise de conscience, sans perdre un instant, nous commençâmes à nous habiller.

— Eh, les gars, un bateau, un bateau ! cria Lizeta en pointant du doigt tremblotant une vedette militaire qui fonçait droit sur nous. Elle était à moins d’un kilomètre. Sur la proue, je distinguai les silhouettes de deux soldats, leurs kalachnikovs braquées dans notre direction. Une terreur immense m’envahit. Une horreur indescriptible.

Une première rafale éclata dans la gorge du Danube, un avertissement, pensai-je. Je vis les soldats remplacer leurs chargeurs. Je rugis : 

— Montez le plus vite possible, cachez-vous derrière les rochers, ne sortez pas avant que je vous le dise… surtout, priez.

Je pris Lizeta par la main et la traînai jusqu’à un bloc de granit assez imposant pour sa taille.

— Transforme-toi en pelote, ne dépasse pas d’un doigt le rocher, pas de bruit, arrête même de respirer !

Je grimpai encore quelques mètres. J’en repérai un à mon gabarit. Le temps de m’accroupir, de me fondre dans sa masse, le tourbillon d’une deuxième rafale de balles commença à ébranler la paix éphémère trouvée dans ce petit coin de liberté. Lizeta était à ma droite, je la voyais, j’entendais ses dents claquer. Elle m’envoya un geste frileux pour signifier que tout allait bien.

— Et les autres ?

— C’est OK, me répondit-elle, en regardant à sa droite et me montrant un cœur créé par les pouces et les index de ses deux mains.

Une troisième vague fit éclater des morceaux de roche tout autour, preuve qu’ils s’approchaient. Un bruit infernal de tirs de kalachnikov résonnait dans toute la région. Je sentis un froid glaciaire dans tout mon corps.

...

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